la mécanique du souffre
4h du matin. Le soleil n'est pas encore levé, mais les pas des travailleurs du souffre résonnent déjà dans le cratère du Kawah Ijen. Leurs toux se répercutent sur des parois qu'on ne distinguent pas encore. Peu à peu, les cabanes de bambous, semblables à des cages à lapins dans lesquelles ils sont des dizaines à dormir à même le sol ou sur des sacs de riz, se vident.
Une kretek, ces cigarettes au clou de girofle, en guise de petit déjeuner, et les mineurs sont prêts à récolter le souffre qui enrobera nos allumettes ou qui se résumera à quelques milligrammes, juste une ligne, sur l'étiquette de nos produits ménagers.
Près du lac acide qui occupe le fond du cratère, ils se réunissent autour du gisement à la lumière de leurs lampes torches. Le souffre jaillit dans des voluptes de fumée, d'abord liquide et rouge. On peut encore entre-apercevoir des flammes bleus danser sous la fumée, un phénomène physique visible la nuit dans seulement deux endroits au monde. Au bout de quelques minutes, le souffre devient solide et prend une belle couleur jaune. C'est le moment pour eux de casser cette roche dorée à coup de barre de fer, pour récolter les morceaux qui rentreront dans les deux paniers qu'ils portent sur leurs épaules.
Parfois, les paniers fait de bambous tressés se cassent. Le mineur devra alors réaliser des économies sur son maigre salaire pour s'en acheter un nouveau. Car ces paniers, ou encore leurs chaussures ne sont pas fournis par la compagnie chinoise qui les emploient. Et en achetant un kilo de souffre seulement 700 rupiahs, ou 5 centimes d'euros, aux travailleurs, ils obligent certains d'entre eux à gravir le volcan en tongues, avec jusqu'à 90 kilos de souffre sur les épaules.
Dans une journée, les mineurs font au moins deux aller-retours, pour 5 euros par jour en moyenne. La compagnie, elle, revendra le souffre 15 fois plus cher.
Il y a quelques années, ils avaient des ânes pour les aider à porter le souffre. Mais peu à peu, le volcan est devenu touristique, et les randonneurs du dimanche ont commencé à se plaindre de l'odeur des animaux et de leurs excréments. Les ânes ont été interdits. Les touristes rendent le travail plus difficile, mais peuvent aussi se montrer généreux. Ils leur achètent des petites figurines faites dans des moules avec du souffre liquide ou leur donnent des gâteaux. Le cadeau préféré des mineurs? Des cigarettes, alors même que leurs poumons subissent les vapeurs de souffre tous les jours, malgré les masques et les foulards qui couvrent leurs visages. Ils disent que les keteks leur donnent l'énergie nécessaire pour travailler.
Les plus vieux travailleurs du souffre ont jusqu'à soixante ans. Cela fait près de 40 ans qu'ils descendent chaque jour dans le volcan. Une longue carrière qui n'aura pas entaché leur bonne humeur, car ils ont décidé de se lever chaque jour avec optimisme et sont heureux de gagner assez d'argent pour nourrir leurs familles. Dès qu'ils se croisent, des éclats de rire retentissent. Dès qu'un touriste les prend en photo, ils font leurs plus beaux sourires. Alors même qu'ils ne voient leurs enfants qu'une fois par semaine, car le trajet, qui coûte l'équivalent de 50 centimes, est trop cher pour eux. Alors même qu'ils ne peuvent s'offrir que du riz et du poissons séchés en guise de repas, en plus des fruits qu'ils ramassent dans la jungle. Alors même que, pour eux, la retraite n'existe pas. Tant qu'ils en seront capables, ils descendront dans le cratère du Kawah Ijen.
Tel Sysiphe, ils recommencent chaque jour le même labeur. Pour seulement 150 euros par mois. Pour eux ce n'est pas un mythe, mais une réalité. Une réalité qu'ils ont choisis de prendre avec le sourire. Les touristes viennent au Kawah Ijen pour admirer le volcan. Ils ressortent du cratère en ayant appris des travailleurs du souffre une véritable leçon de vie.
C. et R.
Une kretek, ces cigarettes au clou de girofle, en guise de petit déjeuner, et les mineurs sont prêts à récolter le souffre qui enrobera nos allumettes ou qui se résumera à quelques milligrammes, juste une ligne, sur l'étiquette de nos produits ménagers.
Près du lac acide qui occupe le fond du cratère, ils se réunissent autour du gisement à la lumière de leurs lampes torches. Le souffre jaillit dans des voluptes de fumée, d'abord liquide et rouge. On peut encore entre-apercevoir des flammes bleus danser sous la fumée, un phénomène physique visible la nuit dans seulement deux endroits au monde. Au bout de quelques minutes, le souffre devient solide et prend une belle couleur jaune. C'est le moment pour eux de casser cette roche dorée à coup de barre de fer, pour récolter les morceaux qui rentreront dans les deux paniers qu'ils portent sur leurs épaules.
Parfois, les paniers fait de bambous tressés se cassent. Le mineur devra alors réaliser des économies sur son maigre salaire pour s'en acheter un nouveau. Car ces paniers, ou encore leurs chaussures ne sont pas fournis par la compagnie chinoise qui les emploient. Et en achetant un kilo de souffre seulement 700 rupiahs, ou 5 centimes d'euros, aux travailleurs, ils obligent certains d'entre eux à gravir le volcan en tongues, avec jusqu'à 90 kilos de souffre sur les épaules.
Dans une journée, les mineurs font au moins deux aller-retours, pour 5 euros par jour en moyenne. La compagnie, elle, revendra le souffre 15 fois plus cher.
Il y a quelques années, ils avaient des ânes pour les aider à porter le souffre. Mais peu à peu, le volcan est devenu touristique, et les randonneurs du dimanche ont commencé à se plaindre de l'odeur des animaux et de leurs excréments. Les ânes ont été interdits. Les touristes rendent le travail plus difficile, mais peuvent aussi se montrer généreux. Ils leur achètent des petites figurines faites dans des moules avec du souffre liquide ou leur donnent des gâteaux. Le cadeau préféré des mineurs? Des cigarettes, alors même que leurs poumons subissent les vapeurs de souffre tous les jours, malgré les masques et les foulards qui couvrent leurs visages. Ils disent que les keteks leur donnent l'énergie nécessaire pour travailler.
Les plus vieux travailleurs du souffre ont jusqu'à soixante ans. Cela fait près de 40 ans qu'ils descendent chaque jour dans le volcan. Une longue carrière qui n'aura pas entaché leur bonne humeur, car ils ont décidé de se lever chaque jour avec optimisme et sont heureux de gagner assez d'argent pour nourrir leurs familles. Dès qu'ils se croisent, des éclats de rire retentissent. Dès qu'un touriste les prend en photo, ils font leurs plus beaux sourires. Alors même qu'ils ne voient leurs enfants qu'une fois par semaine, car le trajet, qui coûte l'équivalent de 50 centimes, est trop cher pour eux. Alors même qu'ils ne peuvent s'offrir que du riz et du poissons séchés en guise de repas, en plus des fruits qu'ils ramassent dans la jungle. Alors même que, pour eux, la retraite n'existe pas. Tant qu'ils en seront capables, ils descendront dans le cratère du Kawah Ijen.
Tel Sysiphe, ils recommencent chaque jour le même labeur. Pour seulement 150 euros par mois. Pour eux ce n'est pas un mythe, mais une réalité. Une réalité qu'ils ont choisis de prendre avec le sourire. Les touristes viennent au Kawah Ijen pour admirer le volcan. Ils ressortent du cratère en ayant appris des travailleurs du souffre une véritable leçon de vie.
C. et R.
tristes aborigènes
Un homme tend un paquet de cigarettes ouvert à un enfant de cinq ans. Il est assis entre ses deux parents. L'enfant saisit une cigarette, la porte à ses lèvres. L'homme sort un briquet et allume la cigarette. L'enfant se met à fumer devant nos yeux effarés, sous les rires de ses parents. Il s'éloigne ensuite en sautillant, impatient de rejoindre ses camarades de jeux, tout en soufflant des ronds de fumée.
L'eau courante et l'électricité ne sont pas encore arrivés dans ce village Orang Asli perdu dans la jungle du Taman Negara, mais les cigarettes, oui. Tout comme les bières et les barres chocolatés dont les déchets jonchent le sol en terre battue entre les maisons en tôle et en paille. Une conséquence du tourisme de masse. Nous étions venus, comme beaucoup d'autres, pour trouver de l'authentique, un peuple proche de la nature, et découvrir un quotidien différent. C'était peut-être le cas il y a 20 ans.
Aujourd'hui, la plupart des touristes restent quelques heures, font le tour du village, prennent des dizaines de photos et s'initient à la sarbacane pendant quelques minutes, en échange d'une poignée de Ringgits, la monnaie locale. Nous sommes plus téméraires et choisissons de rester dormir dans le village, où nous passons la soirée à observer la vie des Orang Asli, sans pouvoir y prendre part. Car les aborigènes malaisiens semblent subir le flot continu de touristes déversé par les pirogues, et évitent toute communication avec les occidentaux.
Pourtant, notre guide nous assure que les Orang Asli ne demande pas mieux que de nous accueillir. Mais lorsque nous nous adressons à une habitante du village, elle ne prend même pas la peine de répondre, et nous tourne le dos. Les enfants, que l'on retrouvent souriants et pleins de curiosité dans le reste du pays semblent ici blasés. Ils sont maintenant habitués à voir des peaux plus claires que la leur, la surprise est passée depuis longtemps.
C.
L'eau courante et l'électricité ne sont pas encore arrivés dans ce village Orang Asli perdu dans la jungle du Taman Negara, mais les cigarettes, oui. Tout comme les bières et les barres chocolatés dont les déchets jonchent le sol en terre battue entre les maisons en tôle et en paille. Une conséquence du tourisme de masse. Nous étions venus, comme beaucoup d'autres, pour trouver de l'authentique, un peuple proche de la nature, et découvrir un quotidien différent. C'était peut-être le cas il y a 20 ans.
Aujourd'hui, la plupart des touristes restent quelques heures, font le tour du village, prennent des dizaines de photos et s'initient à la sarbacane pendant quelques minutes, en échange d'une poignée de Ringgits, la monnaie locale. Nous sommes plus téméraires et choisissons de rester dormir dans le village, où nous passons la soirée à observer la vie des Orang Asli, sans pouvoir y prendre part. Car les aborigènes malaisiens semblent subir le flot continu de touristes déversé par les pirogues, et évitent toute communication avec les occidentaux.
Pourtant, notre guide nous assure que les Orang Asli ne demande pas mieux que de nous accueillir. Mais lorsque nous nous adressons à une habitante du village, elle ne prend même pas la peine de répondre, et nous tourne le dos. Les enfants, que l'on retrouvent souriants et pleins de curiosité dans le reste du pays semblent ici blasés. Ils sont maintenant habitués à voir des peaux plus claires que la leur, la surprise est passée depuis longtemps.
C.
Tioman, les disparus.
Jules, devait faire le tour de la Malaisie. Il a commencé sont périple par l'île de Tioman. Un mois plus tard, il y est toujours. Il sont nombreux dans son cas. Élue plus belle plage du monde dans les années 1970 par le Times, c'est un passage obligé des amateurs de plongée sous marine et des apprentis Robinson. Cette petite île à deux heures de bateau de la Malaisie péninsulaire a tout pour séduire le vacancier citadin en quête de nature. Qui sont-ils alors ces naufragés des temps modernes qui ont décidé de faire rimer voyage et sédentarité?
Jules a la vingtaine. En France, il est élagueur. En Malaisie, il est tour à tour plongeur sous marin, barman, ou encore pêcheur. Il m'assure que ce qui l'a décidé à rester, ce sont avant tout les gens. "Ici les gens sont géniaux, ils ont le cœur sur la main." Une affirmation qu'il ne manque pas de répéter à tous les nouveaux arrivants, tel un religieux prêchant le paradis.
Ils nous offre une bière en canette bien fraîche, nous sommes baptisés.
"Tant pis pour le reste de la Malaisie, me dit-il sans une once de regret, j'y retournerai lors d'un prochain voyage. Puis ce qu'il y a de bien ici, c'est qu'il se passe toujours quelque chose." Il pointe alors une jeune européenne du doigt, une tchèque. " Tu vois la fille là bas, elle est venue en vacances y'a trois ans, elle est jamais repartie." A l'époque, quelques jours lui avaient suffit pour tomber amoureuse de l'île, mais aussi d'un beau moniteur de plongée malais. Ils se sont mariés il y a quinze jours, et il paraît que la fête rivalisait avec la full moon de Ko Pha Ngan. Dis Jules, y'en a pas une autre qui se marie bientôt?
Nous, on est plutôt nomades, du genre à s'ennuyer après trois jours au même endroit. Puis les brochures et Jules ont comme oublié de mentionner les nombreux hôtels et clubs de plongées abandonnés le long de la plage, qui lui donnent à certains endroits des allures de ville fantôme du mid-ouest américain. Difficile pour nous de comprendre Jules et les autres qui semblent avoir oubliés le monde extérieur depuis qu'ils ont atterris ici.
La belle Tioman nous pardonnera, mais nous ne pouvons résister à l'appel de la route.
R.
Jules a la vingtaine. En France, il est élagueur. En Malaisie, il est tour à tour plongeur sous marin, barman, ou encore pêcheur. Il m'assure que ce qui l'a décidé à rester, ce sont avant tout les gens. "Ici les gens sont géniaux, ils ont le cœur sur la main." Une affirmation qu'il ne manque pas de répéter à tous les nouveaux arrivants, tel un religieux prêchant le paradis.
Ils nous offre une bière en canette bien fraîche, nous sommes baptisés.
"Tant pis pour le reste de la Malaisie, me dit-il sans une once de regret, j'y retournerai lors d'un prochain voyage. Puis ce qu'il y a de bien ici, c'est qu'il se passe toujours quelque chose." Il pointe alors une jeune européenne du doigt, une tchèque. " Tu vois la fille là bas, elle est venue en vacances y'a trois ans, elle est jamais repartie." A l'époque, quelques jours lui avaient suffit pour tomber amoureuse de l'île, mais aussi d'un beau moniteur de plongée malais. Ils se sont mariés il y a quinze jours, et il paraît que la fête rivalisait avec la full moon de Ko Pha Ngan. Dis Jules, y'en a pas une autre qui se marie bientôt?
Nous, on est plutôt nomades, du genre à s'ennuyer après trois jours au même endroit. Puis les brochures et Jules ont comme oublié de mentionner les nombreux hôtels et clubs de plongées abandonnés le long de la plage, qui lui donnent à certains endroits des allures de ville fantôme du mid-ouest américain. Difficile pour nous de comprendre Jules et les autres qui semblent avoir oubliés le monde extérieur depuis qu'ils ont atterris ici.
La belle Tioman nous pardonnera, mais nous ne pouvons résister à l'appel de la route.
R.